François Roddier, thermodynamique et société

Débats philosophiques et de sociétés.
Ahmed
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par Ahmed » 04/05/15, 20:35

C'est bien parce que les nèmes sont spécifiques à l'humain, au contraire des tèmes que je les privilégie.
Une autre raison est que les tèmes correspondent originellement à des besoins propres à l'espèce qui les développe, alors que les nèmes impliquent une auto amplification du système technique, donc quelque chose d'assez externe et en grande partie déconnecté du besoin humain (qui devient second et prétexte au fonctionnement némétique).
D'autre part, bien que ces deux mèmes soient indissociables, les nèmes tendent actuellement à s'affranchir en grande partie des tèmes: c'est la classique (mais fausse!) opposition entre économie réelle et économie virtuelle. Force est de constater que les nèmes prennent de plus en plus le pas sur les tèmes.
C'est un problème d'adaptation: la vitesse d'évolution des tèmes est devenue insuffisante pour assurer celle des nèmes, du coup, les nèmes s'autonomisent et s'adonnent à la parthénogénèse*.

Une illustration par une analyse parfaitement inexacte mais révélatrice.

*Engendrement par un seul individu femel le. Etymologiquement, génération par une vierge (le célèbre Parthénon d'Athènes est un temple dédié à la vierge Athéna).
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par Ahmed » 05/05/15, 09:04

Une approche historique de la question est encore plus éclairante au sujet de la prédominance des nèmes.
L'évolution des mèmes (qui regroupent les deux sous-divisions évoquées précédemment) se fait lentement jusqu'à la découverte du nouveau monde et son pillage (voir à ce propos l'émission Terre à Terre de samedi dernier sur France Culture, au cours de laquelle Nicolas Sersiron développe brillamment le concept d'extractivisme). À partir de ce moment, les nèmes vont transformer la société en profondeur, bien qu'assez lentement au début ; ce n'est qu'au dix huitième siècle, en Angleterre, que les nèmes vont pouvoir interagir efficacement en se combinant avec les tènes, ensuite tout s'accélère très vite en Europe, puis c'est l'extension spatiale avec la colonisation, les antagonismes concurrentiels des guerres mondiales, la néo-colonisation (que d'autres nommes « indépendance ») liée au fordisme, etc...
Jusqu'aux années 70, les tènes faisaient bon ménage avec les mènes, car si les tènes tendaient à diminuer individuellement la part des nèmes, l'expansion continue des tènes entretenait une croissance globale des nèmes et, du même coup, l'illusion d'une croissance infinie .
Ce faisant, la suractivité des tènes entraînait une forte dégradation du milieu (y compris son composant humain) qui pouvait faire croire (dans l'illusion de la continuité infinie notée plus haut), qu'une modification adaptative des hommes, puis, lorsque ce ne serait plus suffisant, à l'apparition d'un monde dans lequel seules les machines auto-organisées sauraient survivre.
Seule la prégnance des tènes pouvaient incliner à penser que cette tendance (réelle, au demeurant) avait quelque probabilité d'advenir. En réalité, les tènes constituent la partie concrète et le moyen par lequel évoluent les némes, en une rétroaction complexe.
En effet, les tènes contribuent, comme nous l'avons vu à l'essor des nèmes, mais de manière de moins en moins efficace au fur et à mesure que croît le volume des nèmes, si bien qu'à un certain stade les tènes ne connaissent plus une croissance suffisante pour assurer celle des nèmes. Dès lors, sachant que cette interdépendance subsiste entre ces deux concepts, les nèmes s'autonomisent partiellement et viennent se substituer à l'entité défaillante. Bien entendu, la référence aux tènes reste indispensable, pour convaincre les agents du système de leur légitimité, croyance qui est la principale condition de sa survie (les mènes sont une abstraction-réelle*).
Si la croyance suffisait, cela durerait...le temps de la croyance, cependant, pour que la croyance perdure, l'obligation du maintien de la connexion avec les tènes s'avère de plus en plus difficile, puisque cela se fait au prix de dégradations toujours plus grandes.
La situation est donc intenable à court terme. Ce n'est pourtant pas ce qui est grave, car tout système finit par sombrer, victime de ses incohérences : la réalité complexe du monde n'est réductible à aucun système.
Non, ce qui est grave est que ce système ait fini par intérioriser si intimement notre perception du monde que sa disparition, qui est pourtant une grande chance, nous laissera complètement démunis et incapables de trouver de bonnes solutions, tout comme il nous a vu impuissant à l'abattre lorsque nombreux étaient ceux qui comprenaient sa nocivité. Plus fort ensuite, il a su rallier tous ses anciens ennemis, voués désormais à son absurde et pathétique "réforme", comme si le système pouvait avoir un autre objectif que de persister dans son être tant que ce sera possible, au mépris de ceux qui le servent en toute inconscience.

*Abstraction-réelle : concept marxien qui désigne une objet métaphysique prenant corps du fait de ses effets réels sur la vie des hommes. C'est à rapprocher du concept de sujet-automate.
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par sen-no-sen » 05/05/15, 21:54

Une interview de François Roddier sur le site Adrastia:

http://adrastia.org/interview-francois-roddier/

Monsieur Roddier, devant la crise majeure que vos travaux annoncent et craignent, dans quelle mesure pensez-vous que nous pourrions, en décidant de décroître de façon volontaire, renoncer à la société consumériste sans renoncer au développement de la connaissance et de la science ?

Nous le pourrions, mais il faudrait pour cela le vouloir collectivement. Cela implique une prise de conscience très générale des problèmes auxquels l’humanité va être confrontée. C’est bien loin d’être le cas. Les premières prises de conscience notables sont apparues à la fin des années soixante. Elles ont culminé en France vers 1974, lorsque René Dumont a été candidat à la présidence de la République. Il y a eu alors ce qu’en termes de dynamique non-linéaire on appelle une avalanche, mais ce n’a été qu’une toute petite avalanche d’opinion en faveur de l’écologie. L’immense majorité de l’opinion a rejeté ou tout simplement ignoré la conclusion de travaux comme ceux du Club de Rome.

Au début de ce siècle, c’est-à-dire trente ans plus tard, la majorité de l’opinion était encore que, puisqu’aucun effondrement ne s’est produit, rien de grave ne va arriver. Les estimations du Club de Rome prévoyaient pourtant des difficultés seulement à partir des années 2015 à 2030. Il faut dire que l’homme n’a pas génétiquement ni même culturellement évolué pour se préoccuper de ce qui va arriver au-delà d’une génération, c’est-à-dire une trentaine d’années après lui. Aujourd’hui, une certaine inquiétude revient, due à la persistance des difficultés économiques, mais l’opinion générale est encore bien loin d’un renoncement à la société consumériste, même si cela n’implique pas un renoncement à la connaissance que l’on confond encore trop souvent avec le développement technique.(...)
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par Ahmed » 06/05/15, 12:25

Je réponds de mémoire, car je ne peux accéder actuellement à l'intégralité du texte de l'interview.
Je trouve la fin assez désinvolte: Roddier argumente que l'accélération des processus fonctionnels de notre société serait un facteur positif lors de l'effondrement, puisque cela permettrait, selon lui, un rétablissement sur d'autres bases plus rapidement.
Pour ma part, je suis intimement persuadé que l'extrême complexité métabolique de notre société, qui est la condition de sa vitesse de transformation, constitue un handicap majeur à une réaction salubre dans ces circonstances.
En effet, si, ou plutôt, lorsque cette mécanique délicate et en équilibre acrobatique trouvera sur son chemin le dernier nid de poule qui la fera capoter, tout s'effondrera assez brutalement. Probablement pas partout à la fois, mais par un effet dominos les premiers atteints entraineront les autres dans leur chute. Notre société étant caractérisée par une très forte hétéronomie en même temps que par une quasi universalité, je ne vois pas beaucoup de raisons de se montrer optimiste.
Sur la question de la prise de conscience de la gravité de la situation, Roddier est lucide pour ce qui concerne le présent, mais il suppose que le choc (qui est graduel dans son hypothèse) sera le révélateur qui fera positivement basculer les esprits.
Je sens assez mal cette reconversion miraculeuse, tellement elle se situe aux antipodes des croyances actuelles, toutes opinions confondues...
En réalité, nous fonctionnons sous l'égide d'une superstructure externe dont nous internalisons la logique et qui nous laissera absolument désemparés lors de son collapse, aussi bien psychiquement que matériellement, comme vu plus haut.
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par janic » 06/05/15, 12:37

tout à fait d'accord!
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par Ahmed » 06/05/15, 13:21

Il convient d'ajouter que nous disposons actuellement de tout ce qui est nécessaire pour élaborer une stratégie permettant d'anticiper l'implosion systémique et de trouver des voies différentes, plus satisfaisantes (et donc de ne pas sombre avec le système!).
Tout, sauf la lucidité.
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par sen-no-sen » 06/05/15, 13:29

Ahmed a écrit : Notre société étant caractérisée par une très forte hétéronomie en même temps que par une quasi universalité, je ne vois pas beaucoup de raisons de se montrer optimiste.


Dans son ouvrage thermodynamique de l'évolution(page158),François Roddier parle d'une phase cauchemardesque qui adviendra dans la période post collapse.
Je pense qu'ici que l'interview à été quelque peu "arrondie".
Il n'y a aucune raison de se montrer optimiste dans l'état actuel des choses.


Je sens assez mal cette reconversion miraculeuse, tellement elle se situe aux antipodes des croyances actuelles, toutes opinions confondues...
En réalité, nous fonctionnons sous l'égide d'une superstructure externe dont nous internalisons la logique et qui nous laissera absolument désemparés lors de son collapse, aussi bien psychiquement que matériellement, comme vu plus haut.


Roddier raisonne en scientifique,lorsqu'il parle de reconversion,il s'en tiens aux lois opérant dans la nature auquel nous ne pouvons échapper.
Effectivement, à toutes phases de destruction succède une période de restructuration,maintenant, reste à définir les ordres de grandeurs,et les temps nécessaires à une telle odyssée!
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par Ahmed » 06/05/15, 15:04

Je ne doute pas qu'une telle "restructuration" s'opère, seulement, le peu de lucidité actuel et, en plus, l'impossibilité de réflexion propre au chaos, inclinent à penser que se sera dans un sens nettement "trash"... :frown: :frown: :frown:
Et ceci sans même parler de la période intermédiaire!
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par janic » 06/05/15, 19:35

Roddier raisonne en scientifique,lorsqu'il parle de reconversion,il s'en tiens aux lois opérant dans la nature auquel nous ne pouvons échapper.
Sauf que l'humanité échappe de plus en plus à ces lois naturelles, par les artifices qu'elle a créé. Donc il est difficile, voire impossible, de prendre ces processus naturels comme référence ou modèle.
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par Ahmed » 06/05/15, 20:30

Certes, les artifices permettent certaines "fantaisies" sur des points particuliers, mais non d'échapper aux règles générales qui gouvernent l'ensemble de l'univers.
La question, ici, n'est pas tant de savoir si s'opérerait ou non une reconversion suite à l'effondrement, mais de savoir sous quelle forme elle adviendrait: le phénomène est certain, mais le contenu reste une terrible inconnue, or c'est ce qui importe.
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